Protestatio

Déclaration d’amour à la matière

Rémy Facchini, 2020

Du latin protestatio : de testare, « témoigner » avec le préfixe pro-, « au-devant » :

« témoigner avec vigueur et foi ».

Voûtains du déambulatoire de l’église Saint-Nicolas-des-Champs, Paris, 2020

La matière est géologie et biologie à la fois. La pierre est une roche ; la brique est une terre de roche ; le métal est un minéral dans la roche ; le bois pousse dans ces terres de roches en se nourrissant de minéraux… Un bel exemple de ce mélange entre géologie et biologie est la roche sédimentaire qui malgré son apparence minérale et inorganique garde en elle les traces de la vie.

La matérialité, elle, provient du contact entre la surface de la matière et celle de notre corps. Lorsque que ces surfaces, ces membranes, se touchent, se sentent, se goûtent, s’écoutent et s’observent, une relation se crée ; c’est la matérialité. Elle a lieu à la surface des choses puis chemine vers notre conscience, une émotion surgit lors de cet effleurement et produit un sentiment qui va jusqu’à éclore dans notre esprit. Sentir puis ressentir, voir puis percevoir…

En tant qu’humains nous sommes organiques. Mais voulant construire notre propre destin, nous nous séparons de la nature, nous élaborons nos propres concepts avec notre propre intelligence et notre propre conscience. Cela se voit avec le mot lui-même, matérialité, dans lequel le suffixe -ité emprunte le mot matière pour lui donner un sens nouveau : « la réalité matérielle d’une chose, l’existence d’une chose en tant que matière ». La matière existe donc par elle-même, certes, mais c’est nous qui la considérons, la nommons et l’utilisons en architecture. Nous nous mettons ainsi dans une position de supériorité.

Cependant nous restons des êtres sensibles et nous sommes liés à la matière pour l’éternité, et ce depuis la nuit des temps. Nous avons une expérience phénoménologique à son contact, nous la ressentons même si elle conservera toujours une part d’obscur. Nous aurons beau penser, penser connaître, penser reconnaître, avoir une position de supériorité sur elle, sur son identité et sur son comportement, à un moment nous éprouvons simplement l’envie, ou plutôt le besoin irrépressible, de se remettre à son niveau pour l’écouter et humblement la caresser.

Ainsi la matière incarne le temps long en gardant les traces de notre histoire et du façonnage par notre main. L’architecture reflète nos cultures, nos croyances, nos symboles. Mais la matière incarne aussi le temps long en gardant en elle les traces de sa propre histoire, sa géologie, sa biologie, son métabolisme physico-chimique intrinsèque et silencieux. Nous sommes des êtres poreux. La matière l’est aussi et c’est par ce biais qu’elle nous parle presque, qu’elle nous chuchote dans un silence assourdissant. Dans un silence pesant.

Cette relation est d’autant plus forte que dans un monde fluctuant où nos vies sont contraintes par de vastes forces impersonnelles et immatérielles, il nous faut retourner à la stabilité, à l’immuabilité, à cette proximité sourde et à cette expérience haptique de la matière.

Il y a donc la matière en elle-même, obscure, et sa surface, support de la relation, de la matérialité. Cette surface infiniment fine, plus ou moins poreuse, avec ses aspérités, est dans la lumière. Peut-être que tout l’enjeu se situe dans ces aspérités et ces imperfections plus ou moins ombreuses. La matérialité, lorsqu’elle a lieu, rajoute de l’épaisseur et de la pesanteur à la matière car ce n’est plus une surface abstraite et solitaire, mais une surface qui projette du sens.

« Je défends plus qu’un matériau, je défends ma foi en la matière. Il n’est pas de beauté sans foi. » (Fernand Pouillon dans Les pierres sauvages, 1964)